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Ecriture, nature,musique, photos
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20 septembre 2011

FRISSONS Elle marchait parmi les gravats, les

FRISSONS

Elle marchait parmi les gravats, les vitres brisées, les bouts de métal tordus, les canettes abandonnées sur le sol. Elle avançait avec précaution de crainte de se blesser, elle regardait tout autour d’elle et au dessus de sa tête aussi par crainte qu’un morceau du toit ne se détache et l’assomme. Elle voyait bien répandues ici et là des tuiles explosées, des ferrailles qui avaient chuté. Des trous dans le toit déchiqueté laissaient filtrer une lueur opaque et d’autres par terre bien plus effrayants déversaient une profondeur noire.

Les lieux étaient immenses. Une multiplication de hangars dans une usine désaffectée. Mais que faisait-elle dans ce monde détruit dont les industries fermaient l’une après l’autre ? Des gens l’avaient squatté, des invisibles dont seules de puissantes traces révélaient la présence. Dans la poussière grasse on distinguait des empreintes folles de pneus entremêlés à grande vitesse lors de rodéos de motos improvisés. Elle crut entendre au loin des crissements, un hurlement de moteur en fuite. Elle commençait à avoir peur. Elle percevait des frôlements furtifs, des sons étouffés. Elle réalisa que c’était les pigeons et d’autres oiseaux qu’elle avait dérangés sans le savoir et qui très haut au dessus d’elle s’échappaient. Elle ne pouvait pas reculer, elle était peureuse certes mais ce qu’elle découvrait sur les murs, les poteaux, les portes tombées l’attirait irrésistiblement. Elle n’aurait pas éprouvé plus d’émerveillement dans la caverne d’Ali Baba parmi l’or, les bijoux, les objets précieux ! Partout des tags, des fresques peintes à la bombe ou au rouleau lui parlaient avec magnificence. Elle était toujours bouleversée par le talent brut d’un art, d’une vitalité, d’une humanité que rien n’avait fait plier et qui criaient ou s’égayaient par delà la misère, le désespoir, le silence. Cependant elle était une intruse et si elle ne pouvait s’empêcher de regarder avec respect, admiration, plaisir comme effroi ces œuvres éphémères, avait-elle le droit d’ainsi s’en emparer ? Munie d’un appareil photo elle voulait les préserver, les partager. Mais ceux qui les avaient réalisées qu’en pensaient-ils ? Elle se sentait très seule, vulnérable. Décidément il eût été plus sage de faire demi-tour. Mais non, elle n’y arrivait pas, elle voulait encore voir, découvrir, être captée par la force de cet art et sa vie. Soudain elle prit conscience que de la fumée traversait l’air, une odeur âcre qui venait irriter ses narines. Si un feu brûlait c’est que quelqu’un l’avait allumé, ou encore ce quelqu’un pouvait être plusieurs…Dans sa gorge une boule se noua, étouffante. Ses pas hésitaient de plus en plus, elle tentait de ne faire aucun bruit mais à chaque prise photographique le mécanisme de l’appareil la dénonçait. Par une béance elle aperçut les flammes qui consumaient un paquet sombre de filaments métalliques. Un homme se tenait debout de profil, tout en noir : baskets, jean, sweat et capuche rabattue sur le visage. L’étrangeté venait de sa totale immobilité. Il était figé sur le béton, on ne pouvait pas dire absent ou sans vie mais pétrifié. Elle ne réussit à porter sur lui qu’un regard oblique. Elle s’éloigna en le surveillant, l’œil en coin et glissa hors de sa portée comme si elle n’était pas elle, et lui pas lui. Assez à distance elle se retourna et il n’y avait plus que du vide.

Le lendemain elle se demandait : " Ai-je rêvé " ?. Elle savait bien que non, que le réel n’avait de pire ennemi que lui même quand il était si peu vraisemblable, et cette silhouette obscure se confondait dans son esprit avec les corps de lave de Pompéi, les jeux d’ombres chinoises, les sculptures sur les tombes ou les dérisoires piédestaux de l’Histoire. Elle était reconnaissante à celui qui n’avait pas bougé, pas plus quand il lui était apparu que lorsqu’il avait disparu. Comme une bête fait la morte pour échapper à un agresseur, lui s’était fait statue pour ne pas lui faire peur, comme pour lui dire : " je n’existe pas " comme danger, simplement je suis un homme arrêté. Et parce qu’il n’avait fait devant elle aucun mouvement, elle se mit à penser à ses yeux dans l’ombre, à son visage, à son esprit et quand elle fit le marché le lendemain dans la foule du samedi elle vit un mannequin et il lui sembla soudain que l’inconnu s’était incarné. Elle le prit en photo et elle remarqua qu’il n’avait pas de main et que son pantalon était plissé comme s’il vivait.

Elle oublierait les tags mais pas ces pincements qui froissent l’âme quand on a peur et encore moins la leçon sans geste de celui qui avait su la rassurer.

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