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Ecriture, nature,musique, photos
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20 septembre 2011

Un pépé de Touraine La France, surtout dans le

Un pépé de Touraine

 

La France, surtout dans le Centre, connaissait une pénurie en essence dans un contexte social agité par la réforme des retraites du gouvernement Sarkozy menée par son inébranlable et glacial premier ministre : Fillon. Je n’ai jamais pu voir son air sérieux sans déplorer que le point de vue comptable l’emporte sur l’intelligence du cœur. Quelle méprise quand statistiques, marchés, tableaux, chiffres ou courbes prennent le dessus sur le nécessaire idéal et la connaissance humaine !

Du sommet de l’Etat on ne cessait donc d’expliquer à la population que vouloir cesser le travail à l’âge de soixante ans relevait d’une utopie coupable qui acculerait les jeunes générations à des charges insupportables , priverait le Pays de l’expérience des seniors, ferait de vous un parasite dont l’inactivité nuirait gravement à la santé et aboutirait à une faillite générale. Qu’on se le tienne pour dit, prendre sa retraite trop tôt c’était acculer la nation à ne plus pouvoir payer les pensions ou passer pour un nabab honteux avec ses privilèges. On rappelait également l’obligation d’un alignement sur l’Europe, et le spectre de la mondialisation.

Il va sans dire que je ne partageais pas ces arguments qui faisaient faussement appel à l’Economie et pire encore à la raison, à la morale dont s’emparent souvent les gens de pouvoir dans le seul but de les mettre à leur service!

J’étais alors en Touraine du sud, dans le bourg de Preuilly sur Claise où se tenait deux fois la semaine un petit marché local sur une des places. Celle -ci était en triangle bordée de commerces et de façades couvertes de vigne vierge dont le rouge automnal s’accordait merveilleusement aux toits. Tous ces débats au fond de cette province semblaient fort lointains. La plupart des habitants dans une région désertée, sans autre travail que les gigantesques exploitations d’agriculture intensive voisinant avec quelques paysans subsistant en autarcie avec quatre noyers, trois pommiers, un carré de châtaigniers et quelques chèvres, étaient des vieux (parfois très vieux) tellement pauvres qu’ils n’avaient jamais compté que sur eux mêmes, leur endurance pour traverser la vie et la finir sans avoir jamais cessé de trimer.

L’un d’eux justement se tenait sur le plus petit emplacement qu’il occupait certainement depuis des années et des années. Il n’avait pas comme les autres un camion dont le côté s’ouvre pour exposer ses produits, ni même un étal monté sur des trépieds. Non il n’avait rien que le coffre ouvert de son véhicule où s’entassaient quelques cagettes et directement sur le trottoir, posés sur une bâche ce qu’il vendait : des bouquets de persil d’un vert vigoureux et magnifique conservés dans un bocal d’eau claire, quelques fleurs éclatantes cueillies du matin attachées par une ficelle, les légumes de son jardin, des fruits de son verger, quelques fromages de ses bêtes et des lots des dernières tomates de la saison, un peu brûlées déjà de froid mais dont le parfum montait du sol vers mes narines avec tant de délicieuse insistance que je m’approchai du bonhomme et en demandai un ou deux kilos. Il me fit répéter plusieurs fois de suite, je compris qu’il était quasiment sourd et vint à son oreille en augmentant ma voix. Il opina de la tête et je le vis se mettre à genoux pour attraper les tomates à terre. Je remarquai alors qu’il portait un long tablier épais qui descendait jusqu’à ses pieds et lui permettait de se saisir confortablement de sa marchandise, astuce qu’il avait mise au point pour faire face à sa raideur, ses rhumatismes et sa difficulté à se baisser. J’observai aussi qu’il se trouvait dans l’endroit le plus ensoleillé et le plus abrité, justement devant le mur tapissé de vigne vierge. Non, ce n’était pas un hasard, pas uniquement non plus un choix tactique ou pratique, cette beauté lui était tout simplement nécessaire. Elle s’exprimait aussi dans ce qu’il vendait : de bonnes choses non fondées sur une apparence trompeuse mais sur une vérité. Longuement il tînt à m’expliquer que cette variété devait être pelée, que les marques des premières gelées sur la peau n’avaient aucune importance et que la chair dessous serait dense, sans graine quasiment et savoureuse . Il avait le goût de ces gens de la terre qui savent depuis toujours que l’attention, l’amour portés à leur culture, la patience et l’indifférence à une productivité forcenée à seule visée rentable, valent infiniment mieux que les produits chimiques. Quand je le payais, bien sûr il n’avait pas de tiroir-caisse, mais un carnet pour garder ses billets sans les froisser entre ses notes et quelques images pieuses et une boîte en fer pour la monnaie.

J’emportai ses tomates religieusement et je les dégustai comme des trésors presque disparus tout en songeant à mon pépé de Touraine devenu la figure emblématique de ce récit. Paradoxalement je n’aurais pas voulu voir cet homme pris en charge dans un fauteuil de maison de retraite où il aurait trompé son ennui entre une séance de kiné, un jeu de société mené par une auxiliaire de vie et tout ce que l’on doit à une personne âgée à condition cependant qu’elle puisse le payer !

Non, mais j’aurais aimé l’imaginer chez lui dans sa modeste ferme continuant à entretenir son jardin pour son plaisir, celui de sa famille, de ses amis, de ses voisins, et rendant enfin son vieux tablier qui serait resté accroché à un clou prés de sa porte.

Et il aurait soufflé…

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