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Ecriture, nature,musique, photos
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20 septembre 2011

A Claude, Jean et Michel Départs Trois hommes

 

 

A Claude, Jean et Michel

 

Départs

 

Trois hommes parlent au fond du jardin.

J’entends une voix qui domine, forte, méridionale, ponctuée de gros rires. Elle a les accents généreux de ceux qui ont travaillé le fer et devaient faire frapper les mots plus fort que le marteau. Une autre impose soudain son rythme, plus lent, plus pensé, on la sent plus vieille aussi de beaucoup d’expériences, c’est une voix qui a su se faire respecter, même dans les usines parmi les camarades et devant les patrons, une voix qu’on écoute, en famille avec respect, avec amour parce qu’elle est attentive, toujours juste et pleine de finesse. Et puis la troisième, intarissable, se glisse partout dans les trous, veut à tout prix raisonner comme celle de qui a passé sa vie à faire la classe, à faire des ponts entre lui et les autres pour échanger, pour apprendre. Elle n’abuse cependant pas de sa réputation intellectuelle pour se croire meilleures que les autres, plus crédible, elle sait que la culture doit capituler devant la simple intelligence et particulièrement quand elle s’accompagne d’affection.

Toute discussion d’ailleurs s’achève par le travail à accomplir, les mots cèdent naturellement devant les actes, il faut retourner la terre ou désherber, pincer, tailler, ratisser, semer, planter, arroser, cueillir, ou forger, monter un mur, passer de la peinture, réparer un moteur, ou couper des branches, faire un feu, tirer des fils électriques, réparer des tuyaux. Chacun repart dans son trajet de silence, d’efforts, même celui qui parfois quitte la place pour s’installer devant une table, à sa chaise pour lire, tenter de comprendre. L’un avance vite mais raide avec sa grande silhouette robuste, ses vertèbres cervicales abîmées, il a quelque chose de rocailleux jusque dans ses doigts calleux, l’autre plus gros prend plus de temps, il a appris à être tenace, endurant, pas à pas. Il a du mal à se baisser maintenant, alors il prolonge son bras par une binette, un petit coup ici, un autre là, sans se plier inutilement. Le dernier , sportif, plus jeune est leste. Les autres le regardent faire sa gymnastique sur la terrasse ou sa course à pieds sur la digue et n’en reviennent toujours pas. Voilà qui leur est totalement étranger. Jamais, au plus fort du jeune âge, ils n’ont fait ce type d’exercices qui leur paraît gratuit. Leur force allait à l’utile immédiat, à ce dont il pouvait tirer aussitôt profit et service. Peut-être finalement l’admirent-ils un peu mais quand même …se fatiguer pour rien !

Aujourd’hui n’est plus au trio. Et moi qui faisais si souvent jouer mes yeux sur ces cordes humaines et en tirais tant de tendresse et d’harmonie, j’avais oublié combien vite se défait le bonheur. Hier soir, l’un est mort. Juste avant, l’autre a dit qu’il déménageait, se rendant à l’injonction de l’âge et du bon sens il va vivre prés de ses enfants, tournant la page du jardin pour un balcon ensoleillé. Lui, du moins pourra t-on espérer encore quelquefois le rejoindre et conserver entre nous à la fois du réel et tous nos cadastres imaginaires. Le troisième va poursuivre son jogging dans un espace forcément plus vide et trouvera de plus en plus froides ses mains, même quand je les serrerai dans les miennes.

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