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Ecriture, nature,musique, photos
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20 septembre 2011

Le ramasseur d’oeils de Sainte Lucie En arrivant

Le ramasseur d’oeils de Sainte Lucie

 

 

 

En arrivant à Cargèse, je réalisai que le premier mot qui me venait à l’esprit par un mécanisme d’association, était le nom de COLONNA désigné dans la presse sous l’expression : " le berger de Cargèse " et dont on apprenait que le procès allait se rouvrir pour vice de forme. Etrange que cette périphrase pastorale soit accolée au présumé assassin du préfet Erignac. Comme si, en Corse, les gardiens de chèvres partout ailleurs réputés paisibles pouvaient être ici dangereux. Comment écarter ces images de l’île d’hommes encagoulés, plastiqueurs, incendiaires ? Quoique les paillotes brûlées sur la plage le furent par des gendarmes, des représentants de l’Etat… Situation bien embrouillée dont le tourisme même joue. Je pense au sympathique patron d’auberge qui arrosa notre dessert d’une grappa à réveiller un mort et finit par carrément porter toute la bouteille sur notre table non sans attirer notre attention en riant sur son étiquette provocante: " distillée en cachette des gendarmes. Fabrication frauduleuse garantie " ! Et voilà le soupçon qui naît : cet homme si chaleureux et plein de gentillesse dissimulerait-il derrière son bel œil bleu celui d’un possible tueur ? Et ce tranquille producteur de tomes qui protège sa tête du soleil sous un tricot de corps noué autour du front cacherait –il sous ses rides l’extrémisme buté d’un criminel ?

J’en étais là de mes piètres réflexions lorsque j’aperçus sous la ville une plage merveilleuse, vide, avec deux de ces fameuses paillotes dont le drapeau corse flottait au vent. Alors je me dirigeai vers elle par le raccourci tourmenté d’un torrent à sec qui vous oblige à regarder constamment vos pieds au lieu de pouvoir lever la tête vers les papillons, les nuages et les sublimes points de vue. Sans doute notre vision d’ensemble de la société est-elle ainsi souvent difficile à appréhender par toutes sortes de nécessités qui nous gardent le nez à terre !

Plus j’approchai plus le son de la mer annonçait la tempête en dépit du ciel bleu et de l’éclatant soleil. En effet arrivée sur le sable je vis le déferlement de rouleaux dont la force même, les coloris emportent votre imaginaire tout en mettant votre corps à bonne distance prudemment. Tiens, un petit monsieur minuscule dans cette immensité arpentait la limite humide des vagues, visage incliné vers le sol comme à la recherche de quelque chose. Parfois il se baissait, ramassait cette chose mystérieuse qui restait invisible pour moi. Au bout d’un moment intriguée je m’approchai de lui. " Mais, que faites-vous ? ". A la brusquerie de ma question aurait pu me répondre une mine renfrognée ou un refus. Mais c’est un grand sourire qui se mit à parler. Alors il me raconta la légende, comment dans le grand brassement des eaux les opercules des coquillages tombent et se retrouvent sur le sable fin. Sur cette porcelaine nacrée un œil se dessine et pour eux, les corses c’est celui de Sainte Lucie qui s’adressa à la vierge pour obtenir la guérison de sa mère incurable et s’arracha les yeux .En hommage à sa dévotion Marie les lui rendit encore plus magnifiques. Au creux de sa main qu’il ouvrit je vis apparaître les oeils de Sainte Lucie. Et alors, il me les donna, d’abord un, puis tous (comme s’il n’avait pas voulu n’être qu’à moitié généreux). Les porter sur soi c’est être protégé. Ils ne me quitteront jamais ces yeux, ils me disent la confiance, l’accueil fait à l’étranger dans ce pays superbe à la fois et tragique. Ils ont ouvert mon regard que les clichés avaient brouillé. Ils me rendaient par delà les faits divers, l’humanité de cette terre.

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